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[BELGIQUE] La réforme des pensions : qu'est-ce que le système à points?

Publié le 20 mai 2018

Suite à la manifestation générale initiée par les syndicalistes du pays contre la réforme des pensions, il semble plus qu’approprié de se pencher sur le fameux système « à points », développé par la Commission de Réforme des Pensions 2020 – 2040 et proposé par le gouvernement Michel, qui a fait couler tant d’encre des deux côtés du débat. Plusieurs facteurs ont amené à discuter du renouveau du système des pensions sur les dernières décennies, notamment le vieillissement de la population et l’arrivée à l’âge de la retraite des « baby-boomers ». Ces facteurs contribuent à l’augmentation de ce que l’on appelle le taux de dépendance économique, soit l’augmentation du nombre de pensionnés par rapport au nombre d’actifs sur le marché de l’emploi.

 

Simplement, cela veut dire que nous faisons face à une augmentation des dépenses pour les pensions, que les cotisations sociales, payées par la population active, ne sont plus capables de supporter. Selon le gouvernement, l’objectif du système de la pension à points est donc d’endiguer l’augmentation de ce taux de dépendance économique en rétablissant un équilibre entre l’effort fourni par les contribuables et celui fourni par les retraités.

Avant de discuter des possibles effets pervers de ce système sur le long terme, et afin de démystifier son fonctionnement, il convient de fournir une explication succincte du système de pension à points tel que proposé par le gouvernement belge, et qui devrait entrer en vigueur d'ici 2025.

 

Qu’est-ce que le système de la pension à points ?

 

 

Le principe 

Le renversement principal du système à points est que nous passons d’un système de pensions basé sur l’âge de la pension (système actuel), à un système basé principalement sur la durée de carrière par rapport à la carrière de référence. Selon ses partisans, ce changement est logique dans la mesure où l’espérance de vie a considérablement augmenté sur les dernières décennies.

 

Le deuxième bouleversement, non moins conséquent, est la revalorisation des rémunérations passées qui se fonde non plus sur l’inflation (qui influence le pouvoir d’achat de façon inversement proportionnelle) mais sur la croissance salariale. C’est-à-dire qu’on se base sur le salaire mensuel brut moyen pour le calcul de la pension sans prendre en compte les effets négatifs de l’inflation sur le coût et la qualité de vie.

 

La raison est, selon ses défenseurs, que le salaire moyen a tendance à croître plus que les prix des produits de consommation. Cela dit, cette croissance est dû principalement à l'indexation (conséquence directe de l'inflation) et l'augmentation barémique (plus élevée pour les cadres et directeurs de département). L'évolution du salaire médian nous donnerait probablement un autre résultat et rendrait compte des disparités salariales entre la population aisée et la population plus pauvre.

 

 

Le calcul de la pension dans le système à points

 

Entrons dans la partie un peu plus technique du fonctionnement du système à points (il faudra un peu s'accrocher...). Dans ce système, on prend en compte plusieurs variables :

 

1.      Le point : chaque année, le travailleur qui gagne un montant égal au salaire mensuel brut moyen de l’année écoulée, reçoit exactement 1 point. Cela veut dire qu’un salarié qui gagne moins, disons 90% du salaire moyen, ne recevra que 0,9 points, là où un salaire à 120% de la moyenne équivaudra à 1,2 points. Vulgairement, cela veut dire qu’un « petit salaire » obtiendra moins de points pour sa pension qu’un « gros salaire », ce qui aura évidemment une influence sur le montant de la pension.

 

2.      Le taux de remplacement cible : puisque le calcul de la pension est basé, logiquement, sur le salaire brut moyen, il est nécessaire d’avoir un taux de remplacement pour convertir le montant de la rémunération au montant de la pension (qui n’est donc pas égal au salaire net qui aura été perçu durant les années d’activité professionnelle). Ce taux de remplacement varie en fonction de la situation familiale du pensionné.

 

3.      La valeur du point : la valeur du point dépend du salaire mensuel brut moyen, de la durée de la carrière de référence et du taux de remplacement cible. C’est une valeur universelle, dans le sens où un point vaut la même chose pour tout le monde. Ces trois facteurs sont susceptibles de changer au cours des années, ce qui veut dire qu’un point qui a été acquis l’année précédente a la même valeur que le point acquis l’année suivante. Cela fait partie de ce que les économistes appellent « les corrections actuarielles », qui représentent une espèce de revalorisation automatique des salaires en fonction, ici, des fluctuations du salaire moyen. Si donc le salaire mensuel brut moyen diminue/augmente en 2030, il en va de même pour la valeur du/des point(s) acquis en 2029.

 

Pour les intéressés, la valeur du point se calcule comme suit : taux de remplacement cible x (salaire mensuel brut moyen / carrière de référence). Par exemple, si le taux de remplacement cible est de 50%, que le salaire mensuel brut moyen est de 2500 euros et la durée de la carrière de référence de 43 ans, la valeur du point est :

 

0,5 x (2500 / 43) = 29,07 euros

 

4.      Le coefficient de conversion : puisque tout le monde ne veut pas nécessairement suivre le chemin de la carrière de référence, le calcul de la pension inclut le coefficient de conversion. Il se base sur la durée de la carrière de référence et l’espérance de vie moyenne : travailler plus longtemps équivaut à une pension plus élevée, et travailler moins longtemps à une pension moins importante. Si l’on fait une carrière « de référence », la valeur du coefficient sera égale à 1.

 

Le calcul de la pension du travailleur se fait donc en fonction de toutes ces variables, et les évolutions, sociétales ou personnelles, qu’elles peuvent connaître : variation du salaire moyen, fluctuation du salaire perçu pendant les années actives, interruptions de carrière, congés maladie, etc.

 

La fonction économique pour le calcul de la pension est la suivante : pension = nombre de points acquis x valeur du point x coefficient de conversion. Pour illustrer, si Louise prend sa pension après 43 ans de travail (égal à la carrière de référence) et que son salaire a toujours été égal au salaire mensuel brut moyen (disons 2500 euros), sa pension s’élèvera à :

 

43 x (0,5 x (2500 / 43)) x 1 = 1 250 euros/mois

 

Enfin, notons que ce calcul devra respecter un plancher et un plafond. Ce plafond a récemment été revu à la hausse par le Ministre des pensions Daniel Bacquelaine (MR), puisqu'il serait injuste, notamment vu l'évolution du salaire moyen, vis-à-vis des personnes qui auront plus cotisé durant leur carrière et dont le montant de la pension, par conséquent, dépasse ce plafond.

 

Pendant la retraite, les pensions seront indexées suivant l’évolution des salaires et de la soutenabilité du système qui dépend des capacités et contraintes budgétaires de l’Etat. Les contours et limites de ce principe de soutenabilité ne sont cependant pas définis.

 

Les « exceptions » du système à points

 

La question qui fâche le plus et qui a mené à la grève du mercredi 16 mai passé, est la question de l’équité de ce système à points, vis-à-vis notamment de la pénibilité de certains métiers et de la possibilité de périodes d’inactivité précédant la pension. Une récente publication des économistes de l’UCL* (dont les auteurs ont été, il convient de le souligner, membres de la Commission de Réforme des Pensions 2020 – 2040) assure qu’il existe, dans le nouveau système des pensions, des mécanismes de compensation pour ces cas plus ou moins exceptionnels.

 

Par exemple, pour les métiers qualifiés de « pénibles », le système à points prévoit d’octroyer des points complémentaires durant la période de l’exercice de ce métier. Ces points complémentaires sont sensés compenser l’effet négatif qu’amène nécessairement le cas de la pension anticipée dans ce système, anticipation très courante chez les personnes ayant exercé un travail lourd. Reste à savoir si les points complémentaires contreront complètement l’effet négatif d’une pension anticipée, ou seulement en partie ; et quels métiers le gouvernement qualifie de « pénibles ».

 

Pour ce qui est des périodes d’inactivité (chômage indemnisé, congé parental, congé maladie etc.), le système prévoit l’octroi de points basés sur un salaire fictif. L’article des économistes de l’UCL n’en dit néanmoins pas plus, ni sur le calcul du montant du salaire fictif, ni sur la valeur des points qui seront attribués durant cette période…

 

Les avantages du nouveau système de pension

 

Selon le Conseil Académique des Pensions, l’avantage principal de ce nouveau système est qu’il offre une plus grande flexibilité lors d’une sortie progressive du marché du travail. Il met effectivement en place des régimes de pension partielle qui n’obligent pas la personne, légalement pensionnée, de continuer à travailler (comme c’est le cas dans le régime de la prépension et du crédit-temps) et, inversement, qui ne lui impose pas de limites quant à l’activité professionnelle qu’elle choisirait de continuer à avoir. Cette pension partielle se soumettra aux mêmes « corrections actuarielles » que la pension « à temps plein ».

 

De plus, les corrections actuarielles – qui permettent au montant de la pension de « rester à jour » – assureraient l’équité et la soutenabilité du système. En effet, rappelons que la valeur des points acquis est universelle, et prend en compte l’évolution salariale et budgétaire de l’ensemble du pays. Cependant, et ceci est important, elle ne prend pas en compte l’évolution du coût de la vie.

 

Les effets potentiellement pervers sur le long terme

 

Un calcul réducteur

Il faut d’abord et avant tout noter que cette réforme des pensions ne base son argumentation que sur deux variables : le taux de dépense des pensions et le taux de cotisations sociales. Les autres moyens susceptibles d’entrer en compte pour le financement des retraites, compris dans le concept d’actualité « Tax Shift » (taxer les fortunes, les polluants, les revenus immobiliers, etc.) ne sont donc pas prises en compte dans le discours des défenseurs de ce nouveau système.

 

Pour avoir une réelle évaluation de l’impact du système à points, il faudrait donc également prendre en compte les effets des financements alternatifs déjà en place, et ceux, potentiels, des financements alternatifs encore non-exploités. Le premier effet pervers serait donc de mettre le poids de la responsabilité sur les (anciens) contribuables et non sur les revenus qui échappent aux cotisations sociales.

 

 

La transition

Par ailleurs, avec toutes les mesures transitoires (assez vagues) mises en place pour amorcer l’implémentation du système à points, c’est principalement la nouvelle génération de travailleurs qui pourrait se retrouver à « payer le prix » du vieillissement de la population lorsqu’ils arriveront à l’âge de la retraite : plus de cotisations sociales pendant leurs années d’activité, moins de pension à l’âge de la retraite. Des questions se posent donc tout naturellement sur le caractère équitable de ce nouveau système entre les différentes générations impliquées dans la transformation du paysage des pensions.

 

De plus, la flexibilité du système, louée par ses défenseurs, mérite également d’être nuancée. Le report de l’âge légal de la pension à 67 ans pour 2030 pose en effet question : la flexibilité est nécessairement soumise au principe directeur de la durée de la carrière de référence, durée qui ne fait qu’augmenter parallèlement à ce report progressif de l’âge de la pension auquel nous avons fait face ces dernières années. Report dont on pourrait donc estimer, à juste titre, qu’elle fait partie des « mesures transitoires » plus sournoises vers ce nouveau système à points.

 

De l'équité et de la soutenabilité du système

Ensuite, si ce nouveau système de pensions ne s’accompagne pas d’une vague de création d’emploi, d’augmentation salariale et/ou d’une baisse du coût de la vie en Belgique, l’équité sur base de la correction actuarielle sera à prendre avec un gros grain de sel. En effet, si, par exemple, une pension de 1 200 euros/mois est équitable du point de vue de l’évolution du salaire moyen, elle ne l’est certainement pas au niveau du coût de la vie : à Bruxelles, un loyer tourne en moyenne autour des 750 euros, charges non comprises. La proportionnalité qu’offre ce nouveau calcul des pensions rime-t-elle donc nécessairement avec équité ? Et peut-on réellement parler de soutenabilité lorsque celle-ci ne concerne que les dépenses sociales de l’Etat et non le quotidien de ses ressortissants ?

Enfin, la conséquence de tout cela est que l’on est en droit de se demander si le système de pension à points ne constitue pas simplement une stratégie du gouvernement en place pour arriver, sur le long terme, à une économie qui privilégie l’épargne privée sur l’octroi public des pensions. En effet, le système à points fonctionne sur le principe de soutenabilité, dépendante, ultimement, des contraintes budgétaires de l’Etat – contraintes dont nous ne comprenons pas nécessairement toujours les tenants et aboutissants. Si donc l’Etat estime que le régime n’est pas soutenable à un moment-donné, ou si le système à points ne présente simplement pas les solutions souhaitées, quelles garanties les générations futures ont-elles que l’Etat, fort des citoyens habitués à devoir se serrer la ceinture, ne continuera pas à « piocher » dans leurs pensions ?

 

 

Mathilde Wynsdau

Références:

http://www.lesoir.be/archive/recup/1105448/article/actualite/belgique/politique/2016-01-27/pensions-fin-du-plafond-1672-euros, dernière visite 22/05/2018.

* Université Catholique de Louvain, Regards économiques, « Réforme des pensions légales : le système de pension à points », par J. Hindriks, P. Devolder, E. Schokkaert et F. Vandenbroucke, Louvain-la-Neuve, mars 2017.

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