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Elisabeth Sturtewagen: "On veut promouvoir la rencontre interculturelle."

Publié le 12 juin 2018

Flagey accueillait ce weekend les élèves de plusieurs écoles bruxelloises, francophones et néerlandophones, dans le cadre de leurs cours de musique. Ces cours sont rendu possible par l'ASBL ReMuA/ShAkE, et en fin d'année, les élèves jouent et chantent avec des musiciens professionnels. Cette année, ils étaient accompagnés du Belgian National Orchestra et du Brussels Philharmonic.

Le concept se base sur le festival El Sistema (Venezuela), qui permet à des enfants défavorisés d'apprendre la musique et de jouer en orchestre. Vendredi après-midi, après leur répétition générale pour "Comme Ci, Comme Ca", Elisabeth Sturtewagen, professeure de violoncelle, nous a un peu parlé du projet et des effets d'un cours de musique sur le développement et la créativité des enfants.

 

 

D’où vient l’idée de votre projet ?

 

Le projet est une initiative de l’ASBL ReMuA, ShAkE étant le pendant néerlandophone de l’association. Pour l’instant, c’est principalement des écoles francophones qui participent, mais ShAkE sera plus amplement élaboré et diffusé à partir de l’année prochaine. Sarah Goldfarb dirige cette ASBL et est en charge du volet proprement éducatif du projet. Son mari, Nick Hayes, écrit la musique. L’idée est empruntée au festival El Sistema au Venezuela, qui existe depuis quelques années déjà. Evidemment, les circonstances des écoles étant différentes ici, le projet a été adapté à la réalité scolaire en Belgique. Sarah voulait surtout que le projet prenne racine dans les écoles primaires, afin d’apprendre la musique aux enfants pendant leur phases de développement intellectuel et créatif. De plus, cela leur permet de s’intégrer d’une manière un peu différente dans la société.

 

 

Avec qui collaborez-vous ?

 

Cette année, nous travaillons avec le Brussels Philharmonic et le Belgian National Orchestra. Le but étant de travailler le plus possible avec des professionnels de la musique pour que les enfants soient en contact avec de la musique de haut niveau.

 

 

Le festival El Sistema vise l’éducation à la musique pour des enfants défavorisés. Est-ce aussi le cas de notre version en Belgique ?

 

C’est là qu’on diffère du festival. On ne privilégie pas vraiment une école par rapport à une autre. Pour l’instant, nous travaillons avec des écoles de Molenbeek, de Flagey, de Laeken, de Schaerbeek, de Forest et du centre. On essaie vraiment avec toutes sortes d’écoles, même s’il est vrai qu’on tente de promouvoir une forme de rencontre interculturelle ; surtout ici, à Bruxelles. Donc on aura peut-être tendance à donner cours à des élèves issus d’écoles faisant montre d’une grande diversité, qui sont parfois des écoles avec des enfants issus de catégories sociales « défavorisées », et qui n’entrent pas facilement en contact avec le monde de la musique.

 

 

Quelle est la récurrence de vos cours ?

 

C’est hebdomadaire, mais là aussi, ça dépend d’une école à une autre. Par exemple, j’ai une classe que je vois deux fois par semaine pendant une heure et demie le lundi et deux heures le mercredi ; et une autre que je ne vois qu’une fois par semaine pendant une heure et quart. Un de nos objectifs est de faire évoluer cela à deux cours par semaine d’office. A côté de cela, on organise aussi des « tuttis », où les enfants de deux écoles différentes se rejoignent pour jouer ensemble et se préparer au concert de fin d’année. Après, évidemment, il y a les grandes répétitions générales comme nous avons eues aujourd’hui pour « Comme Ci, Comme Ca ». Hier, c’était la répétition pour « Les Superhéros ».

 

 

A partir de quel âge les enfants peuvent-ils apprendre à jouer, et pendant combien de temps ?

 

A nouveau, cela dépend un peu des écoles. Dans certaines écoles, ils commencent vers la 3ème primaire, dans d’autres plutôt en 4ème. L’objectif est vraiment qu’ils puissent continuer jusqu’à la fin de leurs primaires, ce serait l’idéal. Cela nous permet notamment d’avoir des groupes plus « forts », qui jouent déjà depuis deux ou trois ans et peuvent guider les groupes qui ne font que commencer. Cela permet en plus à des élèves de différents âges de se rapprocher. Mais avec les coûts et les objectifs d’enseignement, ce n’est pas toujours possible de les faire continuer pendant plus de deux ans.

 

 

D’où viennent les instruments ?

 

Les instruments sont achetés par ReMuA, avec l’aide de ses partenaires financiers, et les parents les louent à raison de 30 euros par an environ. C’est presque gratuit, en fait. Durant cette période, les enfants peuvent réellement faire ce qu’ils veulent – à part casser l’instrument, évidemment ! (rires) On veille aussi à ce que l’instrument est adapté à la taille de l’enfant, en fonction de sa croissance.

 

 

Comment réagissent les enfants à ce projet ?

 

Ils sont très enthousiastes. J’ai beaucoup de commentaires positifs. J’en ai quelques-uns qui arrêtent en cours de route, mais au final, ça fait partie des règles du jeu. Ceux qui continuent vraiment jusqu’au concert de clôture et participent aux « tuttis » préparatoires, sont vraiment très heureux et ont donc souvent envie de continuer par après. Certains sont très enthousiastes dès le début – parce qu’ils savent déjà ce qu’est le projet et ont vu d’autres enfants y participer – et d’autres ne se sentent pas directement concernés. Mais si ceux-ci restent, ils peuvent vraiment accrocher au projet et participer au concert de fin d’année. Tout cela dépend du caractère des enfants et de l’école, mais aussi de l’implication des parents. Par exemple, on organise des ateliers de rencontre en début d’année, et certains parents ne viennent jamais regarder. On remarque que leurs enfants ne s’impliquent souvent pas, ou décrochent du projet. Mais, dans la plupart des cas, les parents sont motivés par le projet, viennent assister au concert de fin d’année et sont toujours très fiers de voir leur enfant sur scène.

 

 

Pourquoi avoir choisi cette histoire, « Comme Ci, Comme Ca », pour le concert de clôture ?

 

Cette histoire a été choisie par Sarah et son mari. Selon moi, c’est parce que c’est une variation sur le thème de Roméo et Juliette, une histoire mondialement connue avec des implications que tout le monde peut comprendre. On voulait toucher à des problématiques entre différentes cultures, notamment avec l’arrivée des migrants en Europe et le mur que Trump veut construire aux Etats-Unis. Or, Roméo et Juliette a l’avantage de ramener sur un même plateau deux groupes totalement opposés qui finalement parviennent à se réconcilier, ou du moins, à s’accepter. On mobilise donc cette histoire intemporelle pour mettre en lumière des thématiques actuelles, et ce, de façon accessible pour les enfants. La visée est vraiment éducative : on apprend aux enfants à vivre ensemble, à travailler ensemble, à s’écouter, à ne pas se disputer, et tout ça, par le biais de la musique.

 

 

Pourquoi par la musique ?

 

La musique, on le sait, rassemble les personnes, indépendamment de leurs origines ou de leur catégorie socio-économique, que ce soit en jouant ensemble, en chantant ensemble... Dans un orchestre, surtout, on joue tous le même morceau. Parfois, quand mes élèves se disputent, je ne tente pas directement de résoudre le problème mais de les faire jouer ensemble. Souvent, ça les distrait et ils en finissent par oublier qu’ils se disputaient.

 

Finalement, quels effets voyez-vous sur les enfants à qui vous donnez cours ? Les voyez-vous se transformer ?

 

On voit effectivement très régulièrement qu’ils deviennent plus calmes, plus concentrés. On l’entend aussi des autres professeurs, que nos élèves écoutent plus attentivement en cours. On remarque aussi qu’ils se sentent faire partie d’un beau projet, qui les distingue des autres élèves, et ça a tendance à les revaloriser. Cela dit, j’ai des classes plus difficiles, avec des enfants issus de familles en difficulté socio-économique, et où il y a souvent des disputes. Là, il m’arrive de devoir résoudre des conflits avant de pouvoir donner cours de façon productive. Mais comme je disais, notre projet est éducatif, et la résolution de conflit fait partie de notre travail. Au-delà de l’apprentissage de la musique, le projet vise à leur inculquer les valeurs de respect, de moralité… et d’humanisme, en quelque sorte.

 

 

Mathilde Wynsdau

Propos recueillis le 8 juin 2018 à Flagey.

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