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Le féminisme moderne : quels combats, quelles contradictions ?

 

Publié le 8 juin 2018

Le droit de travailler, le droit de vote, la représentation politique, l’indépendance financière… Le long combat du féminisme a fait acquérir aux femmes une indépendance sans précédent dans l’histoire de l’humanité, aussi bien économique, que sociale et politique. Mais quels sont aujourd’hui les défis auxquels les femmes font face ? Quelle est leur validité et leur impact sur la vie de la gent féminine ? Qui sont ces féministes et que font-elles ? Somme toute, quelle pertinence accorder au féminisme moderne ? HEIN ?! analyse :

 

Tout d’abord, lorsque nous parlons de féminisme moderne, nous nous focalisons en tant que journal sur le féminisme actuel. Nous englobons donc toutes les questions qui font régulièrement l’actualité depuis quelques années : le droit à l’avortement, le port du voile, la sensibilisation contre les violences perpétrées contre les femmes, qu’elles soient morales, physiques ou sexuelles, les inégalités dans le marché du travail et au niveau de la représentation politique, etc.

Notre article porte surtout sur les conflits internes au mouvement, ainsi que sur les critiques externes, qui mettent en crise le mouvement féministe depuis plusieurs années et questionnent son sens et sa pertinence dans le monde d’aujourd’hui. La dernière partie se consacrera à la récente détention de Loujain al-Hathloul et 5 autres activistes pour leur travail en Arabie saoudite.

 

Des statistiques erronées

Une des premières critiques envers le féminisme actuel est l’usage manipulateur de certaines données statistiques, voire même une totale falsification de celles-ci. A titre d’exemple, citons l’idée selon laquelle les femmes ne gagneraient que 10% du revenu mondial, figure souvent mentionnée par des organisations internationales aussi influentes que l’ONU : The Atlantic a déconstruit cet argument en montrant qu’aux Etats-Unis seulement, les femmes gagnent 5,4% du revenu mondial. Il est difficile de savoir à combien s’élève ce pourcentage mondialement, mais 10% semble malhonnête. Dans la même veine, l’idée selon laquelle les femmes gagnent moins que les hommes pour le même travail, se base en réalité sur la différence du salaire moyen entre les femmes et les hommes. Ce, indépendamment des variables comme le poste du travailleur, ses heures prestées, son éducation etc.

Ces critiques émanent aussi bien des opposants au féminisme moderne que de certains féministes eux-mêmes. Le fond de cette critique est que l’on ne peut faire avancer la cause d’une amélioration de la condition de la femme si l’on prend pour preuve des statistiques qui n’ont aucune validité scientifique. Christina Hoff Sommers, une doctorante de l’American Enterprise Institute et créatrice du blog vidéo « The Factual Feminist » (« la féministe factuelle »), va même jusqu’à conseiller aux féministes : « Take back the truth » (« Réappropriez-vous la vérité »).

 

Femen : le féminisme provocateur

Femen, un groupe international d’activistes féministes originaire d’Ukraine et autrefois dirigée par Victor Viatski, est depuis sa création en 2008 connu pour ses actions « surprises », seins nus, causant maintes polémiques dans les journaux et au sein de la population. Leur modus operandi est d’agir en fonction de l’actualité tout en maintenant l’effet de surprise. Leur idéologie, quoique floue pour certains, implique souvent une réappropriation du corps féminin par les femmes, qui souligne le droit de la femme de disposer de son propre corps, de quelque façon que ce soit. D’où l’idée des « topless rallies ». Cela peut aller très loin, par exemple jusqu’à mimer un avortement et uriner devant l’autel de l’église de la Madeleine à Paris. La religion est d'ailleurs souvent la cible de cette organisation (voir image ci-dessous).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’organisation estime que cet aspect provocateur est une part intégrante de leur activisme, d’autres y voient une façon contreproductive de promouvoir le féminisme : qu’il s’agisse d’une gêne, d’une crispation ou même d’une colère vis-à-vis de ces actes, on dénonce de part et d’autre que ce genre d’activisme radical désensibiliserait les citoyens, aussi bien les hommes que les femmes, aux causes pour lesquelles ces activistes décident d’agir. Qu’elles focaliseraient l’attention sur leur nudité plutôt que sur les problématiques en question ; certains vont jusqu’à qualifier ces actes d’attentats à la pudeur.

Le combat de Femen porte beaucoup sur l’objectivation (sexuelle) de la femme. Pourtant, le fait d’utiliser des slogans comme « nos seins, nos armes » pose question. On peut en effet souligner que, paradoxalement, faire usage de son corps pour faire passer un message relève également de l’objectivation… Même si le but est de sensibiliser par la provocation. Certaines ex-membres vont d’ailleurs dans ce sens en témoignant du manque de respect vis-à-vis des activistes par l’organisation, qualifiée de despotique. Une d’elles va même jusqu’à dire que « tu acceptes lentement une soumission que tu refuses à l’extérieur. »

 

L’ONU : HeForShe

Du côté plus « modéré » du mouvement féministe, on retrouve le programme HeForShe, lancé en 2016 après le discours de l’actrice Emma Watson devant l’ONU. Dans ce discours, l’activiste britannique se revendique féministe tout en dénonçant un certain féminisme qui équivaudrait à la haine des hommes. En ce sens, elle déplore le fait que le mot féminisme serait devenu un mot « inconfortable » et « repoussant », aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Afin d’éviter que le féminisme n’écarte les hommes de la discussion et se marginalise de lui-même, HeForShe invite ces hommes à se joindre à la cause féministe. L’idée est simple : que les hommes participent activement à la promotion des droits de la femme, pour faire du féminisme une question humaine qui implique tout le monde, pas uniquement les femmes. A nouveau, cette idée va résulter en un clivage : d’un côté, les hommes et les femmes qui se réjouissent d’une telle initiative et y voient un progrès positif ; de l’autre, ceux qui y voient un retour vers une forme de dépendance de la femme envers l’homme, comme si elle ne pouvait pas se battre sans son aide.

 

 

La question du hijab : liberté ou oppression ?

Lorsqu’il s’agit de débats sensibles, il n’y en a aucun qui divise autant que la question du port du voile. Les féministes, en particulier, sont fortement divisés à ce sujet : si le premier groupe estime que le port du voile est un choix et peut participer à l’émancipation de la femme, le second, lui, n’y voit qu’oppression et soumission de la femme à l’homme. La problématique est d’autant plus délicate qu’elle touche à la question de la place de la femme dans les systèmes religieux, et ce, surtout dans les pays où l’autorité religieuse a une influence considérable sur les affaires d’ordre politique et sociétal. Le féminisme occidental se voit alors forcer de trouver un équilibre entre son interprétation des droits de la femme, et le respect des valeurs et systèmes juridiques et religieux en place dans les pays où le voile est obligatoire.

Dans les pays occidentaux, le consensus du « politiquement correct » est de dire que « tout le monde fait ce qu’il veut ». Cependant, cette liberté absolue mène régulièrement à des désaccords profonds et violents entre les féministes anti-hijab et la communauté musulmane. A titre d’exemple, le 4 avril 2013, des activistes de Femen Belgique ont mené un « topless jihad » devant une mosquée à Bruxelles. Outre la question de savoir si se balader les seins à découvert est une atteinte à la pudeur, le problème est ici surtout que ce féminisme se positionne visiblement en opposition avec la majorité de la communauté musulmane. Vu l’importance accordée par la foi musulmane à la pudeur, certains estiment que ce type d’action fait montre d’un rejet de l’Islam par une certaine mouvance féministe.

 

Quels sont donc les arguments de part et d’autre du débat ? D’un côté, les musulmans, et notamment les femmes musulmanes, assurent que le port du voile est un choix qui signe leur dévouement et leur appartenance à une communauté. Elles soulignent également que forcer les femmes à enlever leur voile serait simplement une autre façon de les soumettre et de les contrôler : en ce sens, la question du port du voile serait une question antiféministe. En accord avec eux, une certaine idée de la gauche les soutient.

De l’autre côté, on estime à l’inverse que le hijab est toujours une contrainte, au moins implicite, qui, par son caractère exclusivement féminin, reste un signe de soumission de la femme vis-à-vis des hommes. Dans un article du Figaro du 9 mars 2017, Fatiha Boudjalat parle du hijab comme d’ « un choix contraint, notamment parce qu’il est le fruit d’une alternative entre le vice et la vertu, entre la trahison des siens et la fidélité à son identité culturelle, ethnique, religieuse. Alternative fausse, mais opératoire» Et elle poursuit : « Le hijab obère l’émancipation individuelle et collective des femmes. Il vient rappeler que la femme a une place, un espace assigné et circonscrit par l’homme. »

Quoiqu’il en soit, le croisement entre ces deux libertés fondamentales, entre la liberté de la femme et la liberté de culte, n’en aura pas de sitôt fini de faire couler de l’encre.

 

Actualité : le féminisme en Arabie saoudite

Une mise en contexte s’impose : ce 24 juin, après des années de combat de la part de féministes de tout horizon en Arabie saoudite, les femmes auront enfin le droit de conduire. Cette révolution fait suite à une série de réformes annoncées par Mohammad ben Salmane, prince héritier du royaume islamique. L’Arabie saoudite est à ce jour le seul pays au monde qui interdit aux femmes de conduire.

 

Loujain al-Hathloul, née à Djeddah, est une activiste de renom dans son pays et dans la région du Golf en général. Grâce au programme de bourse du royaume, elle a pu faire ses études dans la prestigieuse université canadienne University of British Columbia (UBC). Elle y a fait des études de français, mais a toujours insisté qu’elle retournerait en Arabie pour continuer son travail d’activiste. Elle mobilise notamment les réseaux sociaux pour faire acquérir le droit de conduire aux femmes, publiant des vidéos dans lesquelles elle se filme au volant.

Fin 2014, alors qu’elle tentait de passer pacifiquement la frontière entre les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, munie d’un permis de conduire valide pour les pays du Golf, Loujain se fait arrêter par les autorités, enfermer pendant 73 jours et doit comparaître devant le Tribunal pénal spécial, qui traite des affaires de terrorisme et de sécurité. Finalement, elle est libérée, mais les conditions de sa libération demeurent incertaines.

Elle a de ce pas repris ses activités de promotion du droit de conduire pour la femme, et a entretemps même rencontré la nouvelle princesse du Royaume-Uni, Meghan Markle, une féministe également très active. En juin 2017, elle est arrêtée à nouveau pour quelques jours (sans motif réel), et puis libérée.

 

Le 15 mai 2018, dans le courant d’une vague d’arrestations et de répression des défenseurs des droits humains, Loujain est à nouveau arrêtée et emmenée dans un endroit tenu secret, où elle est actuellement détenue avec 5 autres activistes. Parmi ceux-ci, Aziza al Yousef, figure importante dans la lutte contre la tutelle masculine en Arabie saoudite. Les motifs de leur arrestation sont vagues et surprenants : ils sont notamment accusés « d’avoir communiqué avec des entités étrangères », « d’avoir infiltré le gouvernement » et « d’avoir accordé de l’aide financière à des organisations extérieures qui compromettent la sécurité et la stabilité du royaume ». Cependant, aucune poursuite judiciaire officielle n’a été entamée contre les détenus…

A la lumière des changements progressistes annoncés par le prince héritier, ces arrestations semblent étranges. Cela dit, le caractère absolutiste de la monarchie peut fournir une explication : si le changement est d’actualité, la famille royale n’a en aucun cas envie que les activistes se prévalent de ce progrès. Le dernier mot appartient toujours à la royauté. Cette dernière aurait d’ailleurs contacté plusieurs activistes et demandé qu’ils ne s’expriment pas sur le droit de conduire enfin accordé à la femme à la fin de ce mois.

 

Jusqu’à présent, ces arrestations n’ont suscité que quelques timides réactions au niveau international : suite à la demande du président de UBC, le gouvernement canadien n’a fait qu’exprimer une « grande déception » vis-à-vis de ces injustices commises par l’Arabie saoudite. Le 31 mai, le Parlement européen s’est exprimé plus fermement : il demande la libération sans condition des activistes, et appelle l’Europe a réagir avec lui. Amnesty International, l’organisation internationale la plus vocale à ce sujet, insiste à ce que les plus proches alliés occidentaux de l’Arabie saoudite (notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France) condamnent ces répression et exigent la libération de tous ceux qui sont injustement détenus pour défendre les droits humains.

 

En attendant, la famille de Loujain al-Hathloul (dont une partie réside en Belgique) reste sans nouvelles... 

 

Mathilde Wynsdau

SOURCES:

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