top of page

La montée de l’extrême droite en Occident : une analyse

Publié le 18 juin 2018

Trump aux Etats-Unis, Orbán en Hongrie, les « échappées belles » d’une France de Marine Le Pen et d’une Autriche sous le FPÖ : l’extrême droite gagne en popularité depuis plusieurs années déjà, et ce, dans tous les régimes européens et occidentaux actuels. Le phénomène inquiète un certain « establishment » occidental, regroupant aussi bien les politiciens de la gauche que ceux de la droite plus modérée. Que se passe-t-il, et quelle gravité accorder à ce phénomène ? Peut-on soutenir une démocratie théoriquement « absolue » qui a autrefois accordé le pouvoir à un régime nazi ? Ou au contraire, doit-on se tenir à l’expression « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ? Quelle valeur accorder au populisme de l’extrême droite, et quelles leçons en tirer ? HEIN ?! analyse :

 

L’extrême droite, c’est quoi ?

 

L’extrême droite, dans son acceptation la plus courante, est un mouvement politique qui se prévaut de l’attachement aux valeurs de patriotisme et de fierté nationale. Typiquement, elle implique une politique étrangère plus rigide et un protectionnisme (territorial et économique) plus important. Par conséquent, de manière générale, la pratique du bouc émissaire lui est familière, et elle a tendance à mobiliser les émotions fortes de la population (la colère, la peur, le désillusionnement…) par des discours qualifiés de "populistes". 

 

L’administration Trump est un exemple parlant de ce type d’extrémisme politique : la proposition d’interdit d’immigration pour les ressortissants de certains pays musulmans en début de mandat, ainsi que la récente hausse tarifaire en matière de commerce imposée sur le Canada et l’Europe, sont typiques du modus operandi de l’extrême droite. « America first » protège son commerce et ses frontières face à un danger extérieur ; danger dont on ne parvient pas à déterminer de façon définitive s’il est réel ou perçu. 

 

L’extrême droite : une réponse aux échecs de la gauche ?

 

Rentrons dans la question la plus inconfortable : pourquoi l’extrême droite gagne-t-elle autant en popularité ? Lorsqu’on se rend compte du tournant à 180° qu’a pris la France depuis ses années De Gaulle, Mitterrand et un certain Chirac, et celui qu’ont pris une importante fraction des partisans de Sanders aux Etats-Unis en votant pour Trump après la victoire démocrate d’Hillary Clinton, on ne peut ignorer qu’un certain ancien électorat de gauche soit à la source de la montée récente de l’extrême droite. La question est : pourquoi ?

 

Une crise identitaire et des concessions de la gauche face à la mondialisation

 

Une réponse pourrait être que l’ouverture de ce qu’on qualifiait autrefois d’ « Etats-nations » au reste du monde, a bousculé la certitude des identités nationales. Si la globalisation nous a rapproché les uns des autres, parallèlement, elle a aussi rendu floues les frontières entre similarité « universelle » et identité « particulière ». Le pouvoir croissant des multinationales, récemment consolidé par des tribunaux d’arbitrage privé dans le CETA, renforce la crainte que les particularités nationales (commerciales, en l’occurrence) s’estompent progressivement au profit des grandes corporations internationales. Avec pour conséquence supplémentaire une insécurité d’emploi liée à l’imprévisibilité de l’économie capitaliste mondiale.

 

La gauche, idéologiquement plus proche des intérêts du « peuple » (qu'il faudrait définir...), a manqué de se positionner plus fermement par rapport à cette concession progressive du pouvoir à la sphère privée. A titre d’exemple, lorsqu’il était en charge des entreprises publiques en 1996, Elio Di Rupo a ouvert l’ancienne Régie des télégraphes et des téléphones (RTT) à la libéralisation du marché. Se sont ajoutés à cela des mesures d’austérité pour diminuer la dette de l’Etat.

 

Résultat des courses: on fait désormais face à un électorat qui a perdu confiance en les promesses de la gauche. Dans beaucoup de cas, cette virée à 180° est une façon pour l’électeur de donner un « coup de pied dans la fourmilière » et rappeler que, en démocratie, le pouvoir appartient au peuple, et que ce sont ses intérêts que l’Etat doit défendre. Trump a bien compris cela en mobilisant ses catch-phrases : « Make America Great Again » et « America First ».

 

 

Pour en revenir à la question de l’identité nationale, là aussi, on peut estimer que la gauche a manqué de fournir une réponse positive à cette perte de repères. L’ouverture des frontières a résulté dans un flux migratoire historique et une rencontre entre un nombre sans précédent de différentes nationalités. Avec les conséquences négatives que l’on connaît : la peur de voir les « étrangers » prendre « nos boulots », de voir l’Islam détricoter nos valeurs de laïcité, etc.

 

Plutôt que de tenter de créer une nouvelle identité « multiculturelle » et de résoudre les conflits qui grondaient entre les différentes cultures par le dialogue, une certaine gauche (pensons notamment à Philippe Moureau, qui a été pendant longtemps bourgmestre à Molenbeek) a préféré être absolument ouvert à la différence et faire taire les voix dissidentes en les taxant de racistes. Aujourd’hui, on estime que cette gauche est devenue trop « politiquement correct ».

 

L’extrême droite a pu profiter de ce manque de dialogue et de cet étouffement des mécontentements, en offrant une alternative réactionnaire à cette perte de repères. Si aussi bien la droite que la gauche ne parviennent pas à recréer une identité nationale positive à l’ère de la mondialisation, l’extrême droite prend un autre chemin, plus facile et plus efficace, qui est celui de l’identité négative. C’est-à-dire, une identité forgée depuis la différence par rapport à l’autre : typiquement, par un discours populiste qui implique un bouc émissaire, source de tous les maux d’un peuple laissé pour compte. En Occident, ce bouc émissaire est le musulman.

 

L’attrait des discours populistes de la droite : quel danger, quelles leçons ?

Nous le disions déjà, l’extrême droite est maître des discours populistes. Mais le populisme, au final, c’est quoi ? Si l’on s’attache à ce qu’en disent les médias et les politiciens plus « mainstream », le populisme est l’apanage des extrêmes politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite. Typiquement, le fait de mobiliser les émotions fortes du « peuple » (surtout la colère et la peur) est une caractéristique du discours populiste.

 

Quel danger ?

Le danger de ces émotions fortes sont évidentes : agir sous l’impulsion de la peur ou de la colère produit souvent des politiques insuffisamment réfléchies, imprévisibles et potentiellement dévastatrices pour l’économie, voire même, dans le pire des cas, pour la démocratie. En effet, les régimes nazi et stalinien sont des exemples effrayants de discours populistes débouchant sur un régime totalitaire et des crimes contre l’humanité. Si l’on n’en est pas arrivé là avec les partis d’extrême droite actuels, le principe n’en demeure pas moins similaire ; et le danger d’une colère et d’une peur non-résolues qui déraperaient est bel est bien réel.

Quelles leçons ?

 

Cependant, il semblerait que dépeindre le populisme comme un danger absolu ne ferait qu’intensifier son attrait et sa légitimité. D’une certaine façon, cette réaction émotionnelle du peuple n’est que la conséquence de la réaction opposée des politiciens : la logique « froide » du gouvernement qui ne ferait que suivre une « loi économique » que personne ne parvient à cerner, résulte trop régulièrement dans une perte d’emploi, une insécurité financière et plus généralement une disparition du sens politique qui se soumet à la loi du marché, de plus en plus arbitraire.

 

Comprendre l’attrait du populisme ne peut donc se faire sans comprendre que la politique, entreprise proprement humaine, implique nécessairement une dimension émotive et, dans son acceptation étymologique, populiste. Toutes les questions d’ordre politique – qu’il s’agisse de l’emploi, des taxes, de l’immigration etc. – sont des questions qui touchent chaque citoyen au quotidien. Lorsque le citoyen va voter, au-delà d’une réflexion idéologique, c’est la façon dont il ressent son quotidien qui va le pousser à voter pour tel ou tel parti.

 

Or, qualifier toute réaction émotionnelle de populiste, comme ont pris l’habitude de le faire certains politiciens – notamment en dépeignant la généralisation d’une politique d’extrême austérité comme une nécessité économique (alors que la criminalité financière et fiscale bat son plein) –, c’est ignorer le processus de construction politique et sous-estimer le pouvoir démocratique du peuple.

 

Ignorer le processus de construction politique parce qu’il est essentiellement non-nécessaire, produit sous l’impulsion d’une émotion collective réfléchie ; pensons effectivement à l’Union européenne qui était à l’origine une réponse aux atrocités de la seconde guerre mondiale qu’on ne voulait plus jamais voir se reproduire. Et sous-estimer le pouvoir démocratique du peuple parce qu’il peut à tout moment faire volte-face et bousculer l’économie mondiale sous le coup d’une émotion négative non-résolue ; le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis sont des hyperboles de cette dynamique réactionnaire du peuple.

 

En ce sens, réintroduire l’émotion humaine dans le débat politique, en la canalisant de manière réfléchie, nous semble être la seule réponse possible au populisme de l’extrême droite. Qu'en pensez-vous?

Mathilde Wynsdau

bottom of page