top of page

​

Singulier Tattoo Shop sort des carcans traditionnels

 

​

​

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

​

 

Publié le 2 juin 2018 

​

Ce vendredi premier juin, alors que ce studio s’apprête à fêter ses deux ans d’existence, nous passons la porte de Singulier Contemporary Tattoo. L’endroit, bien visible depuis la Rue Haute grâce à sa façade entièrement vitrée, est empreint d’une certaine neutralité « clinique » avec ses murs blancs et son espace très aéré. Le studio respire en effet le professionnalisme et le respect des normes en matière d’hygiène. Sur le bureau à l’accueil, on retrouve d’ailleurs plusieurs copies « à emporter » d’un petit document reprenant les conseils d’hygiène et de soins pour la période de cicatrisation du tatouage.

 

À l’entrée, un des murs est dédié à l’exposition temporaire d’un artiste que Singulier veut mettre en lumière. Il jouxte la petite salle d’attente, où les clients peuvent patienter en feuilletant les portfolios des différents artistes disposés sur une petite étagère. L’équipe prend bien soin de rendre l’attente aussi agréable que possible en offrant un café ou un verre d’eau à celui qui le souhaiterait.

 

Nous avançons vers l’arrière du studio, et là nous retrouvons l’espace réservé au travail « opérationnel » du tatouage à proprement parler. Le bruit des machines, déjà présent lorsqu’on passe la porte, est désormais presqu’assourdissant. Un mur de longs miroirs verticaux sépare cet espace de la pièce où se retirent les tatoueurs pour une petite pause entre deux tattoos, ou pour un peu de calme afin de développer leurs idées sur papier.

 

Nous arrivons donc un vendredi, en début d’après-midi. Moment qui nous avait été conseillé par la manager, Antonia, puisque le taux de fréquentation n’y est pas aussi élevé qu’un jour de weekend. Cette dernière nous invite à la rejoindre derrière les grands miroirs, où nous retrouvons également deux artistes résidents de Singulier : Beufah et Syyd le Kid.

​

L’interview prend directement une allure de discussion entre amis et collègues. L’entretien est d’ailleurs régulièrement ponctué d’un échange d’idées et de remarques entre Beufah, occupé sur son dessin, et Syyd, qui en observe l’évolution. L’atmosphère reste détendue pendant toute la durée de l’interview :

 

 

Tout d’abord, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’histoire de Singulier et ce qui le distingue des autres Tattoo Shops ?

​

Antonia : Cela fait deux ans, soit depuis avril 2016, que le Singulier a ouvert ses portes Rue Haute. Même si techniquement, le studio existe depuis plus longtemps déjà: le Tattoo Shop situé dans le quartier Saint Gery à Bruxelles a déménagé ici pour devenir le Singulier Contemporary Tattoo. A mon sens, ce qui nous distingue des autres shops, c'est tant la diversité artistique des résidents que l'ouverture des styles grâce aux guests que nous recevons. Nous disposons également d'un espace galerie à l'avant du studio, ou nous accrochons des artistes de tout horizon. Celui-ci est directement visible pour les passants.

 

Beufah : Personnellement, parce que le shop est tout blanc, la première chose que les clients viennent me dire, c’est : « on n’a pas du tout l’impression que c’est un studio de tattoo ! » Pour nous, c’est une façon de sortir des carcans traditionnels du monde du tatouage : plutôt que de créer une ambiance « rococo » avec des dessins de tête de mort, on a préféré avoir un endroit neutre qui est plus à même de mettre en avant la particularité de chaque artiste. 

 

 

Aujourd’hui, quand on se promène dans la rue, l’engouement croissant pour le tattoo est évident. On pourrait même parler de « démocratisation » du tatouage, tant c’est plutôt les personnes sans tatouages que l’on compte aujourd’hui sur le bout des doigts. Au niveau de la liberté de l’artiste, les conséquences de cette nouvelle demande sont-elles plutôt positives ou négatives ?

 

B. : C’est plutôt positif. C’est vrai qu’on vient régulièrement avec des design sortis tout droit de Pinterest, qui font qu’avec ce type de demandes notre travail d’artiste vire plutôt vers de l’artisanat. Mais en même temps, cet effet de mode a permis l’émergence de plus de tatoueurs et, par conséquent, de plus de styles et d’un foisonnement de l’art du tattoo. Ces dix dernières années, notre pratique a vraiment énormément évoluée. Donc je ne pense pas qu’on puisse parler d’un effet négatif de l’engouement pour les tatouages « à la mode ». Et puis, l’esthétique, c’est quelque chose de personnel. On n’est pas là pour juger.

 

Syyd : Vraiment pas. Chacun a son style. C’est comme en musique. Moi, Justin Bieber, personne ne m’oblige à l’écouter et donc je ne l’écoute pas. Mais il y a plein de gens qui l’adorent et c’est tant mieux pour eux. Je suis d’avis que chacun fait ce qu’il veut. C’est ça vivre dans un monde libre.

 

B. : C’est beau ce que tu dis !

​

S. : Bah oui. Plus sérieusement, ces effets de mode font simplement partie du métier. Surtout avec les périodes d’apprentissage de la pratique du tatouage, chaque artiste passe par ces étapes de respect de ses aînés et de « petits tatouages d’abord ». Progressivement, on propose quelque chose de plus personnel et de plus artistique, et avec de la chance et beaucoup de travail, on arrive à se former sa propre clientèle. En tout cas, c’est comme ça que ça a marché pour moi. Maintenant, pour en revenir à cette « démocratisation » du tatouage, c’est génial pour l’instant, mais toute médaille a son revers… Heureusement, on n’en voit pas encore les effets.

 

 

Quel serait le revers de la médaille ?

 

S. : Simplement que l’engouement s’arrête. Que la demande diminue et que l’offre soit trop importante. Pour le métier, cette nouvelle demande implique l’émergence de plus en plus de tatoueurs. C’est génial pour le développement de notre art, mais il y aussi tellement de gens qui font la même chose… Si la demande finit par diminuer, tout le monde n’aura pas la chance de pouvoir continuer à en vivre. Déjà maintenant, beaucoup de tatoueurs autodidactes, qui « s’essayent » au tattoo, ne percent pas.

​

A. : Après, le revers de la médaille est à nuancer : on a été invité pour Art Truc Troc à BOZAR en début d'année. De façon inédite, le tatouage commence à se faire une place dans des grandes institutions culturelles. Du coup, au-delà de l'effet de mode, le tatouage devient une forme d’art officiel à part entière !

​

 

​

​

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour continuer sur cette question de la globalisation, Instagram et d’autres réseaux sociaux semblent jouer un rôle prépondérant dans le métier de tatoueur aujourd’hui. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont vous en faites usage ?

 

A. : D’un point de vue commercial, c’est vraiment indispensable. Ça constitue la plus grande partie de mon travail de manager. Ce qui fonctionne le mieux, c’est Instagram parce que c’est réellement une « vitrine » numérique mondiale, qui permet de mettre en avant le style du tatoueur ; ou en tout cas l’image qu’il veut montrer à son public. Ça permet une approche commerciale très calculée. Et pas seulement par les photos, mais aussi par les vidéos, et surtout les « Story » ! Celles-ci sont un moyen de visibilité considérable, qui fonctionne vraiment bien. Dans notre cas, chaque jour, il y a entre 1000 et 1500 personnes qui les regardent.

La plateforme permet aussi de démarcher des artistes, de les inviter à Singulier. Ou, à l’inverse, de recevoir des demandes d’artistes pour pouvoir venir chez nous. Avec Instagram, la direction artistique a vraiment la possibilité de choisir, de façon très subjective, les tatoueurs et les styles qui lui conviennent le mieux et qui la « définissent », en quelque sorte. En l’occurrence, en tant que studio « contemporain », on préfère mettre en avant des artistes qui sortent des cadres traditionnels et qui proposent quelque chose de plus expérimental.

 

 

Qu’en est-il de Facebook ?

 

A. : Disons qu’Instagram est plus intergénérationnel. On y touche plus de monde. Ça commence à 15 ans et ça finit vers la 50aine. Facebook, c’est quand-même plus pour les personnes entre 30 et 40 ans. La fourchette est plus petite.

 

B. : Franchement, moi, je tatoue des jeunes qui n’ont même plus Facebook ! Ils n’ont qu’Instagram et Snapchat sur leurs téléphones.

 

 

Vous parliez du développement de votre art. Le tatouage a effectivement une histoire qui a permis sa déclinaison en différents genres : traditionnel, old school, new school, néo-traditionnel… Les frontières entre ces genres sont-elles vraiment étanches ?

 

B. : Oui. Il y a certains tatouages où, quand je les vois, je peux dire directement que c’est old school, blackwork, néo-traditionnel… Les différents styles sont vraiment présents, puisque c’est surtout, à l’instar de la peinture, une question de génération : chaque génération de tatoueurs s’inscrit dans une période de l’histoire du tattoo. Par conséquent, chaque génération est témoin d’une certaine évolution de son art et se positionne par rapport à elle, d’une manière ou d’une autre. Cela dit, aujourd’hui, ces frontières disparaissent. Par exemple, personnellement, je m’essaie à différents styles et je tente de produire quelque chose de mixte. Mais ça, je crois que c’est plutôt typique de notre studio.

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

​

 

 

 

 

 

 

 

Du coup, y a-t-il encore des profils « types » de personnes qui viennent se faire tatouer ?

​

B. : Pas du tout, et c’est ça qui est génial dans notre métier aujourd’hui. On a vraiment de tout. De toutes tranches d’âge, de toutes catégories socio-professionnelles…

 

S. : Ça dépend, je répondrais de manière plus nuancée.

 

B. : J’imagine que tu parles en termes de clientèle. C’est vrai que la clientèle est, généralement, beaucoup plus ciblée. Ici, par exemple, chaque tatoueur a une clientèle bien spécifique. Je parlais vraiment de manière générale, avec le « walk in ».

 

 

Le « walk in » ?

 

A. : Oui, simplement les clients qui passent la porte assez facilement, avec un design prédéfini, pour se faire tatouer directement.

 

B. : C’est souvent ces designs « Pinterest » dont je parlais là tout de suite.

 

S. : Mais pas tout le temps, évidemment. Pour en revenir à la clientèle, dans le monde du tattoo, on a une expression, que j’entendais beaucoup dans les shops où j’allais me former : « on a les clients qu’on mérite ». Et c’est vrai. En fonction de ce qu’on fait, on attire des gens qui sont sensibles au style qu’on propose. Du coup, il y aura quand même une certaine similitude entre les personnes de cette clientèle.

 

A. : C’est quoi les caractéristiques communes de tes clients ?

 

S. : Je n’ai pas vraiment de réponse concrète, je trouve ça difficile de mettre des mots dessus. C’est surtout un « feeling ». Par exemple, si tu fais quelque chose de bien « trash », black metal…

 

B. : C’est clair que tu n’auras pas énormément de « petites filles sages ».

 

S. : Voilà. En fait, c’est assez drôle, j’ai beaucoup de gays (hommes et femmes) dans ma clientèle. C’est chouette parce qu’en règle générale, ce sont des personnes très intéressantes avec un vécu bien particulier. Après, effectivement, j’ai tatoué pas mal de types de personnes différentes avec le « walk in », surtout au début. Et au final, c’était vraiment génial : j’ai rencontré un tas de personnes avec qui je n’aurais pas forcément parlé en dehors du cadre du tattoo.

 

 

La situation de votre shop à Rue Haute aide-t-elle à diversifier votre clientèle ?

 

A. : Oui. C’est une rue commerçante très touristique, ça aide énormément. Simplement le fait d’être à Bruxelles, en fait. Il y a énormément de Tattoo Shops dans cette ville qui fonctionnent très bien grâce à la diversité inhérente à la ville.

 

S. : Il paraît que c’est la ville la plus cosmopolite du monde, d’ailleurs.

 

B. : Il y a plus de nationalités à Saint-Gilles qu’à New York ! J’avais lu quelque part qu’il y avait quelque chose de l’ordre de 193 nationalités enregistrées dans cette commune. Un truc comme ça. C’est énorme.

 

S. : C’est fou. Ca fait que je dois parler anglais tous les jours, ici. Après, je propose un style assez avant-gardiste, donc je suis obligé de toucher ce genre de public. Mais ça reste une particularité de Bruxelles. J’ai aussi travaillé à Louvain-la-Neuve, à Liège et à Namur, et là, parler anglais tous les jours n’était pas du tout une réalité comme ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Êtes-vous capables de distinguer les clients qui reviennent et ceux qui regretterons potentiellement leur tatouage ?

 

S. : Je ne me pose pas la question, en fait.

 

B. : Moi non plus, je t’avoue. Surtout la question du regret ! Si je pense « est-ce qu’il va regretter son tattoo ? », c’est qu’il doit y avoir quelque chose qui cloche dans ce que je propose, ou que je ne lui ai pas donné les conseils que je devrais lui donner en tant que professionnel. On essaye quand-même de proposer un tatouage que la personne va adorer jusqu’à la fin de sa vie.

Par contre, c’est vrai que j’ai déjà eu un client qui est venu me voir et qui m’a dit : « Je veux un tattoo ! ». Du coup je lui demande : « Et tu veux quoi comme tattoo ? ». « J’veux un tattoo ! », qu’il me répète. Du coup je lui ai répondu qu’il n’avait qu’à revenir lorsqu’il savait ce qu’il voulait.

 

 

Finalement, vous lui avez quand-même fait un tattoo ?

 

B. : Oui, finalement je lui ai fait un énorme tattoo sur les côtes : « Just live your dreams ». En fait, c’était un jeune qui se cherchait un peu et voulait absolument passer dans une émission de téléréalité où tout le monde était tatoué. Il m’a envoyé des photos après en disant : « Regarde, ton tattoo est à la télé ! ». Je ne veux rien savoir ! (rires) Mais c’était marrant. Après, en termes de regrets, ça nous arrive à tous de recouvrir son propre tatouage.

 

A. : C’est clair. Moi aussi j’ai un tatouage que j’ai recouvert. En plus, c’était un tatouage hyper symbolique, mais je n’arrivais simplement plus à le voir en peinture. En réalité, vu que c’est quelque chose de permanent, c’est tout à fait possible de s’en lasser. C’est rarement la faute du tatoueur. Même si les ratés existent, bien entendu. Mais quand vous venez dans un shop comme Singulier, jamais vous n’aurez de raté ! (sourire)

 

 

Et pour les personnes qui reviendront ?

 

S. : Personnellement, je suis d’avis qu’on ne peut pas savoir si quelqu’un reviendra ou pas. Parce qu’un tatouage, ce n’est pas une nécessité, c’est avant tout un luxe. Au même titre qu’une coupe de cheveux ou une manicure ou un bijou. Même si on passe un super moment avec le client et que le contact passe très bien, un tatouage coûte cher. C’est un réel budget. Tout le monde n’a pas la possibilité de dépenser 300 euros chaque année pour se faire un dessin permanent sur la peau. Par contre, c’est tout à fait possible de les revoir, mais seulement après cinq ans, par exemple.

 

 

Nous clôturons l’entretien. Nous restons encore un peu dans le studio pour prendre quelques photos des tatoueurs en plein travail, et avons même fait une petite v​idéo de SDZN en train de faire le premier tatouage d’un père accompagné de sa fille. Le résultat final est visible sur notre page d'accueil. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Singulier Contemporary Tattoo est situé Rue Haute 182, à 1000 Bruxelles. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter leur site web https://www.singulier.net/ (où vous retrouverez les adresses Instagram des différents artistes), leur Instagram @singuliertattoo et leur page Facebook Singulier Tattoo Shop.

​

 

Mathilde Wynsdau

​

bottom of page