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Nietzsche: le Surhumain et la démocratie

 

Publié le 29 mai 2018

Si Friedrich Nietzsche est un philosophe dont on parle beaucoup, les erreurs que l’on fait sur sa pensée n’en demeurent pas moins nombreuses. A titre d’exemple, loin d’être antisémite comme l’ont estimé les lecteurs de La volonté de puissance (ouvrage posthume qui fut rédigé par sa sœur et son mari !), Nietzsche vouait en réalité une grande admiration au peuple juif. Il suffit de lire certains passages de Par-delà bien et mal pour se rendre compte que le « peuple israélite » est bien plus souvent un type de mesure pour ce qu’il appelle la « culture supérieure ».

 

Cette désinformation sur l’antisémitisme supposé de Nietzsche n’a pas non plus aidé sa célèbre théorie du Surhumain. Mobilisée par l’Allemagne d’Adolf Hitler pour conférer à la « race aryenne » une valeur théorique, cela rend encore plus difficile d’en parler sans devoir prendre de grandes précautions intellectuelles. Aussi, disons-le directement, nos explications sur le Surhumain se passeront de sa postérité nazie et se colleront à ses propos d’origine.

 

L’homme supérieur, c’est qui ?

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain – une corde au-dessus d’un abîme. […] La grandeur de l’Homme, c’est qu’il est un pont et non un terme ; ce que l’on peut aimer chez l’Homme, c’est qu’il est transition et perdition. »

(Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, p. 50)

 

Venons-en donc à nos moutons ! L’extrait que nous avons choisi ici pour « résumer » le Surhumain – ou l’Homme supérieur, c’est selon – parle de l’homme comme quelqu’un qui évolue ou se dégrade. L’idée d’une « race » figée comme ont pu mettre en avant les théoriciens nazis, est donc bien loin du propos d’origine que tient notre cher Friedrich.

 

Le Surhumain, c’est donc, pour le dire très simplement, un but à atteindre. C’est un homme qui serait devenu supérieur par sa pensée, sa perspicacité, et sa capacité de création – plus particulièrement sa capacité de création de valeurs.

 

La valeur, c’est quoi ?

La valeur, selon et au temps de Nietzsche, c’est d’abord et avant tout l’apanage des moralistes. Ces moralistes sont aussi bien des figures religieuses que des philosophes, et on retrouve, dans la culture occidentale (« gréco-chrétienne »), de grandes similarités entre les valeurs de l’Eglise et les valeurs de la philosophie : la piété, l’honnêteté, l’amour de son prochain, et surtout, la recherche de la « vérité » - que celle-ci soit en Dieu ou dans la connaissance scientifique. C’est principalement contre cette vérité unique que s’oppose la théorie de l’Homme supérieur.

 

Créer des valeurs, c’est donc avant tout réfuter l’idée qu’il puisse y avoir une seule et grande vérité. C’est comme ça que l’on pourrait comprendre que, selon Nietzsche, « Dieu est mort ». Mais attention ! Contrairement à une idée populaire, Nietzsche n’est pas nihiliste ! S’il n’y pas qu’une seule vérité, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a aucune, ou que chacun a sa propre vérité qui serait égale à celle des autres. Justement, Nietzsche met en garde contre le nihilisme.

 

Qu’est-ce que fait le Surhumain ?

Le Surhumain, donc, plutôt que de se soumettre aveuglement à une seule vérité ou à un nihilisme absolu, court-circuite la question en ne cherchant pas la vérité, mais en la créant. C’est en ce sens qu’il est un homme fort, plus apte à diriger et former les dominés qu’à en faire lui-même partie.

 

L’Homme supérieur, c’est en plus celui qui donne forme aux mentalités et aux cultures, qui est capable de créer mais aussi de perfectionner. Il est un leader-né, une personne rare, plus prône à la solitude que les autres.

 

 

Et la démocratie, dans tout ça ?

Oui, vous l’avez bien compris : Nietzsche parle de dominants et de dominés. Selon lui, c’est dans l’ordre des choses : certaines personnes créent, d’autres suivent. Il est donc plutôt partisan de l’aristocratie, et plus spécifiquement d’une aristocratie d’hommes supérieurs, créateurs et au caractère fort.

 

On comprend dès lors son aversion totale envers le mouvement démocratique moderne, qui mettrait au rang de leaders un « troupeau » qui n’aurait rien à y faire. En effet, suivant sa logique, si tout le monde peut décider, et si le plus commun des mortels est suiveur, le risque de la démocratie est qu’elle affaiblirait les mentalités et les cultures, dont la création et la perfection se doit d’être le privilège des (vrais) dominants.

 

 

On voit donc bien que les nazis ont détourné le message originel de Nietzsche : le nazisme, d’un populisme sans nom, est en réalité à l’extrême opposé de ce qu’aurait voulu promouvoir le philosophe. En mobilisant la colère et la rancune du peuple allemand d’après-guerre, Hitler a voulu faire de tous les allemands « aryens » des Surhumains. Idée dont se serait bien moqué notre moustachu…

Mathilde Wynsdau

Sources:

- F. NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. G. Bianquis, Flammarion, Paris, 2006.

- F. NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, trad. P. Wotling, GF Flammarion, Paris, 2000.

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